L’Europe, plus que jamais au cœur de notre avenir
Voilà un récit qui donne envie d’Europe, un récit qui nous rapproche de la vie de ses institutions, et surtout qui nous met devant les yeux les grands enjeux que nous devrons affronter demain.
Bernard Guetta vient de publier, à l’occasion de la Journée de l’Europe, le 9 mai, La nation européenne. Guetta, ancien journaliste, est depuis 2019 député Renaissance au Parlement européen. Député-journaliste donc, même si l’association de deux termes, à laquelle il tient, lui a valu quelques mésaventures et malentendus. Car le journalisme est affaire d’opinion, alors que la politique affaire de consensus. Les événements ont, comme la lumière, deux aspects, et les mots pour an parler ne sont pas les mêmes. Mais de cette position délicate et périlleuse lui permet d’éclairer différemment les débats sur l’Europe, et sur notre avenir.
Le livre se lit d’une traite. Ce n’est pas un essai, mais un « récit » – ainsi que le précise le sous-titre. Rédigé donc à la première personne, d’une écriture vive, parfois emportée, parfois même lyrique. Les institutions européennes sont décrites à travers les yeux d’un « bleu » (c’est son premier mandat politique), et les remarques sur les rites, les lourdeurs et les petites manies nous en font parcourir de plain-pied les longs et parfois surprenants couloirs.
Mais rapidement on entre dans le vif du sujet : la construction de la nation européenne. Et celle-ci s’est accéléré depuis quatre ans.
De nombreux tabous sont tombés en l’espace de 4 ans, avec plus d’avancées majeures que dans les 15 années précédentes : la Défense commune (merci Trump et son déni de l’Otan) ; l’emprunt européen et le contrôle de la Commission sur l’utilisation de l’argent par les États (merci le Covid) ; les politiques industrielles communes ; la création d’un fonds de souveraineté (merci encore au covid) ; l’institution des ressources propres à l’UE ; la conditionnalité du respect de l’État de droit au versement des fonds européens ; enfin, la plus impensable saillie : l’affirmation de l’Union comme puissance militaire, à travers les livraisons d’armes à l’Ukraine (merci Poutine). Si bien que, désormais, « l’Union agit depuis le 24 février en acteur de la scène internationale, en puissance politique. » (p. 174)
L’Europe en est à son troisième « moment ». Après la fondation du marché commun et la création de la monnaie unique, voici celui de l’union politique.
Et le résultat est palpable dans les opinions publiques : près de trois-quarts de Européens ont une opinion favorable de l’Union européenne, un chiffre en forte hausse.
On a souvent remarqué que l’Europe avance par bond successifs, en réponse à des crises. C’est le seul moyen de bousculer les habitudes, de faire taire les particularismes régionaux, et les intérêts ancrés. Sans doute, mais pour le réchauffement climatique, ce ne sera pas suffisant, car cette crise est lente, et à bas bruit. La nature ne déclare pas la guerre.
Dans le portrait de la future Europe que trace ce spécialiste des questions géopolitiques, on peut regretter la quasi absence des questions liées au réchauffement climatique, qui structurent pourtant les investissements et les jeunes électorats, c’est-à-dire l’avenir de l’Union. Les industries de l’automobile et de la chimie en seront bouleversées, et d’autres encore.
Un duopole se dessine entre les États-Unis et la Chine, et la conflictualité en semble déjà le moteur.
L’unité de l’Europe est le seul moyen d’introduire un troisième terme dans ce jeu. Avec un premier résultat pratique immédiat : la possibilité ne pas se laisser entraîner dans des enchaînements d’événements sur lesquels nous n’aurions aucune prise. Et un deuxième résultat, moins assuré mais plus civilisationnel : éviter que la conflictualité ne dégénère en guerre mondiale.
Philippe Goupil
Bernard Guetta – La nation européenne – Flammarion – 20 €